Le futur de la RH : si loin, si proche ?

Quelle semaine ! Ce fut une semaine assurément placée sous le signe des médias. J’étais mardi face à Marie-Bernard Delom, responsable des hauts-dirigeants d’Orange, sur Décideurs TV-MyTF1 news. Samedi matin ce sera sur France Inter que je parlerai à 9h15 de vacances illimitées dans l’émission « On n’arrête pas l’éco ». Et évidemment ces deux jours fous à la HR Tech Europe où j’ai notamment eu la chance d’interviewer consécutivement David McCandless, pour son livre « Information is beautiful », et Monsieur Gary Hamel révolutionnant littéralement le management.

Entre ces deux interviews, beaucoup d’échanges, de rencontres, de surprises. Voici les quelques réflexions que j’ai envie de partager à chaud.

People are back!

En discutant avec Bertrand Duperrin, que je ne remercierai jamais assez d’avoir poussé mon nom aux organisateurs et ainsi permis tous ces beaux moments, nous avons réalisé une chose toute simple : people are back ! Dans cet antre des nouvelles technologies qu’incarne HR Tech Europe, nous n’avons jamais autant parlé d’humain. Transparence, autonomie, liberté, engagement, motivation, bonheur, satisfaction…. On se serait presque cru à Woodstock (Hendrix et Janis Joplin en moins) ! 

D’une certaine façon, rien d’étonnant puisque dans Ressources Humaines, il y a quand même Humain. Mais soyons francs, après avoir été cantonnés à l’administration pendant tant d’années, les RH ont focalisé le discours de ces dernières années sur eux, leurs problèmes, leur besoin d’efficacité, de reporting, de reconnaissance. Or en ce mois d’octobre 2014, le mot reporting était balayé d’un revers de la main comme si ça n’avait rien à faire dans la discussion.

Si l’on a tant parlé de ces facteurs totalement inhérents à l’Homme et ses turpitudes, c’est simplement parce que ne pas les prendre en compte revient à faire une croix sur toute velléité de croissance et d’innovation. Oui, la performance et l’innovation requièrent cette fameuse entreprise digitale dont on parle tant et que l’on voit si peu. Qui peut aujourd’hui imaginer que performance et innovation puissent émerger hors du bon vouloir de ceux qui peuplent nos entreprises ! En ce sens, Yves Morieux, R « Ray » Wang et Gary Hamel ont proposé des keynotes plus qu’inspirantes. Quelle entreprise peut imaginer cacher son fonctionnement ou ses dysfonctionnements à des personnes ultra-connectées et sur-informées ? Bob Hohman, CEO de Glassdoor, s’est bien sûr engouffré dans cette brèche.

Seulement voilà, dans le train en direction de Paris, je sens déjà ce douloureux retour à la réalité poindre. Dès lundi, je retrouverai des clients – que je remercie au passage d’accepter qu’on les secoue un peu dans leurs convictions – à qui la Direction générale demande des comptes, à qui les syndicats demandent d’éviter les incursions sur les médias sociaux, à qui la Loi impose tant de contraintes et de réglementations… Et que la crise contraint à faire à trois ce qui demanderait 2 à 3 fois plus de personnes.

Oui, nous avons rêvé pendant deux jours. Oui, notre rêve devrait être réalité tant le bon sens économique, sociologique ou technologique l’impose. Mais il va encore falloir attendre encore un peu… Pourquoi ?

Toute l’architecture de l’entreprise est à revoir !

Finalement, rien de nouveau sous le soleil. Comme le disait déjà nos grand-mères, on ne fait pas du neuf avec du vieux. D’accord, mais n’est-ce pas quand même ce que l’on essaye de faire actuellement ? Quand on repense à l’an 2000, où notre seul souci technologique était le « bug de l’an 2000 » et le passage à l’euro, que Facebook, LinkedIn, Twitter et les médias sociaux en général n’existaient pas, pas plus que l’iPhone ou Android dans un monde où Nokia, Ericsson et Motorola régnaient sans concession sur les Telecoms, ou les maisons de disque avaient droit de vie ou de mort sur les artistes, etc., on se dit qu’il peut s’en passer en quinze ans… Et il s’en est passé.

Pour autant, l’entreprise se délecte toujours de ses bons vieux concepts de pouvoir, de hiérarchie, de workflow de décision, de command-and-control, de « chef », etc. Pourquoi toutes ces notions ne sont-elles pas remises en cause dans un monde vivant une véritable révolution technologique, sociologique, sans parler de la crise financière historique dans laquelle nous sommes empêtrés ? Faut-il vraiment attendre de se heurter dans un mur façon Kodak ou Lehman Brothers pour se décider à changer ?

Tous les intervenants sont clairs : toute entreprise qui refuserait de mesurer l’ampleur de la révolution que nous vivons actuellement est amenée à disparaître, tôt ou tard. Alors qu’attendons-nous ? Est-il vraiment impossible d’imaginer, ne serait-ce qu’un instant, que l’on supprime les titres ornant nos cartes de visite, de faire participer tout le monde à l’élaboration de la stratégie, de laisser les collaborateurs élire leurs leaders, de partager les informations salariales ou de permettre à tout le monde d’éditer un bon de commande comme le suggère Gary Hamel ? A quel point pensez-vous qu’il s’agisse d’un doux rêve, voire du rêve d’un doux dingue ? Si c’est le cas, ne pensez-vous pas être comme le diraient nos amis anglo-saxons in trouble ? Pensez-vous pouvoir encore tirer le meilleur de vos collaborateurs si vos modes de gouvernance ne correspondent plus en rien aux modes comportementaux actuels de la société ? Je crois que nous faisons bel et bien face à un dilemme Shakespearien 😉

Et le Big Data dans tout ça ?

Le monde est bien étrange… Je vais à la RMSConf en m’attendant à entendre des français s’insurger de la prédominance des algorithmes et j’entends le Dr Laurent Alexandre nous expliquer que nous serons bientôt tous colonisés par des robots. Je vais à HR Tech Europe en m’attendant voir des robots servir mon café et prendre des notes, et les speakers n’ont de cesse de rappeler la toute puissance de l’humain. R « Ray » Wang a néanmoins dressé une perspective intéressante de la bonne utilisation des données, tout comme David McCandless avant lui.

David McCandless, à l’instar de son ouvrage intitulé Information is Beautiful, à force d’exemples pragmatiques et éloquents, nous a rappelé qu’une image vaut mieux qu’un long discours (décidément, nos grands-mères auraient pu faire speaker à HR Tech Europe…). Plus exactement, il explique comment la visualisation graphique de données (autrement appelée Data visualization ou « dataviz ») peut fournir un excellent support à la prise de décision.

Son exemple concernant les économies réalisées sur le budget américain était assez amusant. Lorsque l’on parle des efforts budgétaires réalisés et que l’on brandit un chiffre comme 100 millions de dollars, cela peut de prime à bord sembler impressionnant. Mais quand on visualise graphiquement ce que cette somme représente en regard du budget annuel (qui se chiffre bien sûr en milliards), on se rend compte qu’il s’agit d’un point que l’on n’arrive même pas à distinguer sur l’écran. On imagine alors ce type de dataviz défiler durant l’intervention télévisée de n’importe quel responsable politique…. ;). Comme le dit si bien David McCandless : une information seule ne pas pas détenir la vérité, il faut la comparer à d’autres informations pour vraiment pouvoir la jauger.

Il pourrait en être de même pour toutes nos prises de décision : où placer vos investissements en formation compte-tenu des forces et faiblesses de votre entreprise ? ; les résultats de Jean Dupont sont-ils vraiment inférieurs à ceux de Caroline Martin ? ; Et ceux de l’Amérique latine sont-ils vraiment au-dessus de ceux de l’Europe ? ; Quant au marché de l’emploi, la pénurie de développeurs informatiques est-elle vraiment à la hauteur de ce que l’on nous dit ? Etc.

Nul doute que la data visualization représente une dimension importante de la promesse de Big Data. J’ai en revanche posé deux questions quelque peu embêtantes lors de mon interview avec David concernant les limites de cet outil :

  • Ramené au domaine RH, comment espérer utiliser un outil de ce type pour détecter les talents potentiels de l’entreprise puisque par définition, s’agissant de talents n’ayant pas encore fait leurs preuves dans l’entreprise, nous n’avons que très peu d’informations les concernant ? Vous verrez sa réponse dans l’interview en question 😉
  • Quid de la pertinence ou véracité des informations utilisées dans les dataviz ? Représenter graphiquement des informations tangibles telles que des budgets est une chose, mais visualiser des informations plus intangibles comme les compétences managériales – par exemple – en est une autre ? Yves Morieux ne s’est d’ailleurs pas priver de rappeler que ce que l’on appelle Analytics est très utile, à condition que l’on puisse mesurer ce que l’on observe…. Et dans beaucoup de cas, la seule mesure est le jugement de l’observateur ! Peut-etre pas évident à représenter sous forme de dataviz.

Et encore, on peut espérer y arriver si l’on dispose d’un bon logiciel de talent management (je n’en citerai aucun ;). Mais ramené à Big Data et à sa capture zélée d’information sur une multitude de sources inconnues, comment savoir quel poids accorder à la représentation de l’information ? 

R « Ray » Wang a pour sa part – entre autres choses – défendu l’importance d’être davantage « data-driven » (i.e. influencé par les données) en matière de prise de décision plutôt que « guts-driven » (i.e. influencé par son instinct ou ses tripes). Pourquoi se priver d’appuyer sa décision sur des faits, que l’on n’aura même pas à passer des heures à chercher, plutôt que de « naviguer à vue » ? Il rappelle également cette chose essentielle : le Big data n’a pas pour objet de fournir des rapports et des statistiques, mais bien de permettre de contextualiser ce que l’on vit en poussant la bonne information au bon moment. Cela doit notamment permettre de mieux comprendre les rôles de ceux que l’on rencontre, de mieux comprendre les mécaniques relationnelles, les processus qui sont en jeu ou encore les intentions. Nulle question de remplacer l’Homme donc mais bien de le rendre plus intelligent !

L’applification du Talent Management

Finalement, c’est presque ce point qui me laisse le plus sur ma faim… Peut-être simplement parce que ce n’est pas le plus dur à atteindre, et que cela ne requiert déjà plus l’attention de ceux qui font changer les choses. J’ai bien vu de très belles démos de certains éditeurs comme Workday, démontrant comme il est aujourd’hui facile de réaliser des actions RH sur son smartphone ou sur tablette. Mais est-ce vraiment ce dont on parle lorsque l’on parle d’applification du talent management ?

N’oublions pas que la technologie n’est que coquille vide si elle ne s’applique pas à des processus RH existants, respectant la façon dont ils sont conduits. On sait bien qu’en Europe, les processus RH prennent autant de formes qu’il y a de pays concernés, pour des raisons organisationnelles, culturelles, sociales, réglementaires. Une application façon B2C qui s’appliquerait indifféremment à toutes les entités d’un groupe international n’a probablement que peu de chances de rencontrer son public. Et dans le même temps, il faut faire évoluer les pratiques des RH pour éviter qu’ils soient les garants de processus obsolètes plutôt que d’être des amplificateurs d’engagement. Pas simple tout ça hein ? 😉

Je crois qu’il est important de ne pas confondre le fait d’être capable de faire évoluer les processus afin qu’ils appartiennent de plus en plus à ceux qui y contribuent, qu’ils respectent les usages et comportements de ceux à qui ils s’adressent, et le fait de ramener la RH à une simple somme d’actions réalisées de façon éparse sans object ou intention véritable….  Encore un peu de travail de ce côté là donc.

En conclusion, au risque de me répéter encore et toujours, nous autres éditeurs, écrivains, penseurs, consultants, collaborateurs, managers, ayant de près ou de loin à faire avec la sphère RH, vivons vraiment une période formidable !!! On ne peut pas se vanter tous les jours d’être au coeur d’une véritable révolution… ou plutôt mutation. Alors vivons pleinement cette période et participons chacun activement à faire éclore l’entreprise du troisième millénaire 😉