J’ai fait le mur avec un expert !

Ce we, je partais à la campagne comme souvent avec quelques amis afin de me reposer d’une intense semaine. Seulement voilà : à la campagne, il y a toujours quelque chose à faire. Et cette fois-ci, il s’agissait d’assurer l’étanchéité du mur en réalisant quelques travaux inconnus à votre serviteur. Cela s’est fait bien sûr avec un ami qui a mené à bien des chantiers dans le bâtiment pendant des années, un expert quoi. Voici (outre mes quelques courbatures) ce que j’en ai retiré.

Tout a toujours une utilité

Nous avions gardé pendant quelques années des briques dans notre jardin, une bonne cinquantaine, que nous avons déplacées une bonne dizaine de fois d’un coin à l’autre, sans savoir à quoi elles pourraient bien nous servir. Mais le dit expert – que nous appellerons Mario pour permettre au lecteur de se plonger dans cette intense narration – savait, lui, qu’elles nous serviraient un jour. Et le jour était venu.

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Pour consolider un mur afin d’assurer son étanchéité, il faut en effet creuser une tranchée, la remplir de gros cailloux, puis de moins gros cailloux, puis de moins moins gros cailloux, puis d’une grille en fer, puis de béton. Et nous, nous n’avions pas assez de gros cailloux. Alors on a cassé nos briques.

Petite question piège pour les vacances : et vous, qu’avez-vous mis de côté en sachant que cela serait sûrement utile un jour ? Des briques, une passion, un don, une compétence, un livre de jardinage, de cuisine, des photos compromettantes ? Me concernant, ayant switché (Béa et Clara si vous lisez ce post 😉) plusieurs fois durant mes études et mon parcours professionnel, j’ai mis des années à comprendre à quoi serviraient mes « briques ». Mais aujourd’hui, c’est plus clair, et cette compréhension a posteriori m’est bien utile pour embrasser pleinement la mission que je me suis finalement fixée.

Un expert ne réfléchit pas, il sait

Ce qui étonnant lorsque l’on travaille avec Mario, c’est que l’on dirait qu’il ne réfléchit jamais. Cette fois-ci, je lui ai finalement posé la question qui m’a si longtemps taraudé : « mais tu fais tout au pif ou tu es un Jedi ? ». En fait il ne s’agit d’aucune des deux options. C’est simplement que lorsqu’il se trouve en situation, il sait !

Inception

Cela renvoie directement aux travaux de Michael Polanyi qui expliquait dans son livre de 1966, The tacit dimension, que les experts se construisaient des modèles mentaux intermédiaires encapsulant des connaissances afin d’agir plus rapidement. Les connaissances sous-tendant ces modèles, deviennent avec le temps, « invisibles » à son propriétaire, comme s’il n’avait plus conscience de les détenir. Elles sont devenues tacites. Et un véritable expert n’encapsule pas seulement des connaissances dans des modèles intermédiaires, mais il intègre des modèles dans d’autres modèles. Un peu comme dans Inception en fait 😉 

Si notre cerveau opère ces différents rangements cognitifs, c’est simplement pour permettre à tous les Mario du monde d’agir vite et bien, sans avoir besoin d’Internet, de modes d’emploi, ou de faire appel à un ami.

Un expert sait, mais a du mal à expliquer

Le seul problème avec les connaissances tacites, c’est qu’elles sont tellement enfouies derrière tellement de modèles mentaux, que celui qui les détient peine à les transmettre à ses petits camarades. Qui souvent eux n’ont aucune idée de ce qu’il faut faire et à qui il faut par conséquent tout expliquer. Un cuisinier chevronné qui vous dira de « réserver les lardons » risque d’être quelque peu surpris en vous voyant appeler le charcutier pour le faire.

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Plus drôle. Vous qui vous vantez d’être un brillant pilote automobile, allez expliquer comment conduire une voiture à un novice lors d’un diner. Vous vous rendez compte que vous n’arrivez pas à lui expliquer, car vous conduisez maintenant par automatisme sans avoir à penser à ce qu’il faut faire. Ce qui explique que vous puissiez conduire tout en écoutant de la musique, parler à votre voisin et engueuler le mec de devant.

Mario, tout bon expert qu’il est, n’échappe pas à la règle. Quand vous lui demandez comment il voit les choses, combien de sacs de gravier il faudra ou s’il faut tourner longtemps la bétonneuse, il restera volontairement (ou involontairement ?) vague car il ne sait pas encore… il saura en situation ! Et à ce moment là (cf. le point précédent), la réponse lui viendra instantanément.

Ce qui explique au passage pourquoi les grands experts ne sont pas toujours de grands managers.

Un expert a toujours une utilité

La reconnaissance des experts est très variable au sein des entreprises au fil des décennies. Tantôt ils deviennent, lors de vagues de départs à la retraite, les personnes clés de l’entreprise. Tantôt on ne s’intéresse plus à eux, ne reconnaissant que la vertu des soft skills et des compétences transverses. Une entreprise qui réussit comprend probablement son lot d’experts, même si celle-ci n’en a plus vraiment conscience et ne leur réserve pas spécialement de traitement de faveur.

En résumé, à l’instar du compagnonnage, entourez-vous d’experts et imprégnez-vous de leur science dans l’action ! Et peut-être que vous aussi un jour vous ne vous souviendrez plus que vous savez 😉