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Le télétravail à l’épreuve de la grève !

Je me souviens des grèves de 95. J’avais 21 ans et me rendais à Jussieu pour mes examens en bateau-mouche. La France était paralysée, et les entreprises fortement impactées. Est-ce que cela devrait toujours être le cas 25 ans après ? On nous vante en permanence le mérite de la transformation digitale, du travail à distance, des espaces de co-working, alors en quoi le fait de ne pas pouvoir se rendre au travail est-il un problème ? Est-ce à dire que cette fameuse transformation ne concerne finalement pas tout le monde ?

1. Un « acid check » du travail à distance

Quand le 5 décembre Muriel Penicaud lance son appel aux employeurs pour qu’ils se montrent « compréhensifs avec les salariés qui ne pourront pas se rendre au travail », on comprend immédiatement que le travail à distance n’est pas encore complètement rentré dans les mœurs. Pourquoi ? Parce qu’en toute honnêteté, quand vous arrivez au bureau et que vous voyez un étage vide, ça fait bizarre…. Vous ne pouvez vous empêcher de penser que personne ne travaille. Pendant des décennies, travail rimait avec locaux, horaires, bureaux. Si le digital a en quelques années donné la possibilité de faire éclater la notion d’espace-temps, nos mentalités n’ont pas évolué aussi rapidement.

On se rend vite compte, en tant que dirigeant, que c’est bien la notion de confiance qui est au cœur du télétravail ou de toute autre forme de travail qui s’opère hors de l’enceinte de l’entreprise. Comment dépasser le mythe centenaire du salarié qui ne travaille que s’il est physiquement là ? Y compris vis-à-vis de collègues qui peuvent continuer de vous faire cette bonne vieille blague rance – et très française – quand vous partez à 18h :« Alors, tu prends ton après-midi ? ».

Depuis l’apparition du Blackberry, puis des smartphones, tout le monde a commencé a travaillé de partout, tout le temps. Rendant – inconsciemment ? – chacun corvéable à merci sitôt qu’il dispose d’une connexion Internet. La situation est pour le moins ironique. Si les entreprises ont du signer des chartes du droit à la déconnexion, c’est précisément pour que les salariés ne se sentent pas obligés de répondre en permanence aux sollicitations professionnelles qui pleuvent soir et week-end. Alors pourquoi s’inquiéter en temps de grève que les gens ne travaillent pas s’ils ne viennent pas au bureau ?

2. La collaboration est-elle vraiment facilitée par le digital ?

Autant c’est un bonheur de se faire deux ou trois réunions à distance avec des outils comme Teams quand cela nous permet de rester chez soi plutôt que de passer une ou deux heures dans les transports, autant cela devient vite insupportable s’il s’agit de la seule option pour travailler. D’abord parce que même si ces outils permettent supposément de simuler le fait d’être ensemble dans un même lieu physique, du fait des fonctionnalités vidéo, de partage de document, etc., quiconque les a déjà utilisé sait à quel point cela peut vite devenir pénible.

Parce que la connexion n’est pas toujours de qualité. Parce qu’il est plus difficile de prendre la parole quand on est à distance que sur un plateau de télévision, toutes les personnes réunies physiquement vous oubliant assez rapidement. Parce que l’on ressent un dixième de ce que l’on vit quand on est réunit pour de vrai, les mots « instinct » ou « sensation » n’existant pas pour rien. Mais surtout parce que des moments passés physiquement ensemble permettent d’améliorer notre capacité à collaborer, levier essentiel d’épanouissement et de réussite.

On ne cesse de répéter que les problèmes sont devenus trop complexes, et que de nouveaux types de problèmes apparaissent à un rythme plus soutenu qu’avant. Cela signifie qu’apprendre à collaborer n’est pas une option, mais le facteur clé de réussite des décennies à venir. Nous tenir à distance les uns des autres n’aide pas, à moins que l’on ait déjà développé des mécanismes de coopération bien rodés. Lorsque c’est le cas, tels des sportifs sur le terrain capables de faire une passe à leurs coéquipiers les yeux fermés, alors les outils digitaux deviennent de sérieux alliés. Ils permettent de faire que les interactions soient plus fréquentes, et ce quelles que soient les contraintes des uns et des autres. Comme en cas de grève pas exemple.

3. Le travail à distance est-elle une réalité pour tous ?

On l’aura compris, quand le télétravail permet de préparer des événements stratégiques tranquillement chez soi, de gérer au mieux de longs trajets, d’adapter son emploi du temps par rapport à des contraintes professionnelles ou personnelles, c’est du pain béni. En revanche, cela devient rapidement une option maudite quand elle est imposée par des contraintes exogènes que l’on n’a ni souhaité ni eu le temps d’anticiper. 

Et au risque d’énoncer une confondante banalité, il est peut-être bon de rappeler que cette option est loin de concerner tout le monde. Demander à un pompiste, commerçant, livreur, de jouir du digital pour éviter la galère des transports est un peu décalé…. Pour beaucoup d’entre nous, travailler signifier être en interaction avec les autres sur un lieu qui n’est pas notre domicile ou un espace de co-working.

Et même pour ceux qui peuvent jouir de cette option, la grève vient de nous rappeler que nos collègues commencent finalement plus rapidement que prévu à nous manquer lorsque l’on est contraint de rester chez soi plusieurs jours d’affilée. Le travail, au-delà de la rémunération qu’il nous procure, est synonyme pour nous de lien social ! D’où le mal-être souvent éprouvé par les personnes qui partent à la retraite, leur identité sociale étant soudainement remise en cause. Un peu comme on aimait venir en classe pour retrouver ses copains, on aime venir au travail pour interagir avec ses collègues.

Finalement, le télétravail, un peu comme dans un couple, c’est le mini-break que l’on s’impose pour mieux se retrouver. Ou continuer d’alimenter la relation dans le cas des relations longues distances. Mais cela doit être voulu, anticipé et reposer sur des liens sociaux forts afin de ne pas ternir la collaboration. Et vous, qu’en pensez-vous ? Comment avez-vous vécu ce mois de décembre 2019 ?